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Bonjour chers Amis et merci de vous être associés aussi nombreux à ce moment d’hommage à la mémoire d’Emmanuel Mounier, au lieu même où il a vécu durant près de vingt ans, de l’âge de 3 ans à 22 ans.

Merci aussi, bien sûr, Mme Jullian pour votre belle évocation de la figure de Mounier et merci d’avoir donné suite favorable à la demande d’un signe de reconnaissance que j’avais formulée, il y quatre ans, en compagnie de Jean-Philippe Motte, hélas aujourd’hui absent.

 Il a aimé ce lieu où il est d’ailleurs revenu assez souvent jusqu’à la fin de sa courte vie pour les vacances de Noël et d’été.

             Nous souhaitions en effet depuis longtemps, nous Association des Amis de Mounier, qu’une plaque commémorative rappelle le souvenir de ce grand Grenoblois qui a marqué de son empreinte le XXe siècle sans que l’on fasse toujours justice de sa place éminente dans le débat intellectuel et de son influence sur plusieurs générations particulièrement dans le monde des militants. Je pense entre autres, parmi les plus connus, à Jacques Delors que j’ai entendu dire à mon prédécesseur Guy Coq : « Vous savez que lorsque vous me parlez de Mounier, je suis à vos ordres », je pense aussi à Michel Rocard, à Walesa, à Mazowiecki, l’ancien premier ministre polonais, à Vaclav Havel et à tant de ceux qui ont combattu pour la liberté et la libération dans les pays de l’Est, en Amérique latine et en Afrique où Mounier demeure très lu et influent. 

             Car à la différence de ses contemporains immédiats, Sartre et Aron, compagnons d’agrégation en 1928, en se distinguant aussi de Camus de huit ans son cadet, Mounier n’a pas seulement voulu penser l’homme et son univers. Il a aussi souhaité l’aider à vivre en l’amenant à découvrir le sens de sa vocation de personne qui est de présence et d’engagement dans la vie de la cité. Et cela dans un mouvement concomitant d’approfondissement de sa vie intérieure.  Dans son dernier petit livre, le QSJ sur Le personnalisme, il écrira dans un résumé saisissant ; « L’être personnel est générosité ».

             Il ne s’est pas borné à mettre la personne en concepts, dans l’atmosphère confinée d’un tour d’ivoire. Ce qu’il en a dit, il l’a vécu en s’attachant constamment à authentifier son dire par son faire, par ses choix de vie. Lui, le brillant agrégé de philosophie, 2ème en 1928 derrière Raymond Aron, sans être passé par Normale Sup, va vite quitter l’enseignement pour se vouer entièrement à la revue Esprit qu’il crée en 1932 en vue non seulement de penser la société alors en proie à une crise majeure à la fois économique et spirituelle. Ce qui l’amènera à tracer les « lignes d’orientation » d’un changement de grande ampleur visant la libération de la personne. Et, toujours par souci de cohérence, il fera le choix d’un mode de vie modeste par solidarité avec les déshérités de la société dont le sort n’a cessé de le préoccuper. Au point d’écrire à son ami André Depierre, deux jours avant sa mort prématurée à 45 ans, « J’insiste beaucoup pour qu’ensemble nous trouvions ce moyen d’entrer dans les souffrances et les luttes des travailleurs… Ne croyez pas qu’en vous demandant cela, je veuille payer la dîme d’une bonne conscience. Je voudrais, avec ma femme, donner au moins un peu et me préparer au jour où les évènements peut-être nous pousseront à donner tout [1]».

             Si l’Association des Amis de Mounier poursuit son travail de diffusion de sa pensée par la réédition de ses textes ( nous travaillons à la publication de ses Œuvres complètes en 7 volumes ), c’est pour l’évidente raison d’une réelle pertinence, on peut même dire d’une forte actualité de sa pensée en ces temps d’une crise encore plus globale que celle qui a présidé à la naissance de son œuvre. Face à la peur du vide intellectuel et spirituel qui gagne notre société, nous avons la conviction que cette œuvre offre une alternative des plus solides non seulement pour charpenter les existences personnelles mais aussi pour inspirer la réflexion collective sur l’économie, une « économie décentralisée jusqu’à la personne » disait Mounier, sur le politique à réarticuler plus fortement que jamais au prophétique, sur le social et le culturel en proie aux vertiges d’une autonomie déboussolée. Plus qu’un maître à penser, Mounier peut être aujourd’hui encore un maître à vivre, un pourvoyeur de sens. Telle est notre conviction et le sens de notre action en tant qu’Association des Amis d’Emmanuel Mounier. Et si vous souhaitez nous rejoindre, vous êtes les bienvenus !       

 

[1] Esprit, décembre 1950, p. 906.